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Causerie

On annonce que M. Bourgeois va instituer une commission extra-parlementaire, à l'effet d'examiner les demandes de palmes académiques, formalité éliminatoire qui permettrait au ministre de résister à certaines sollicitations.

Si extra que soit cette commission, il est douteux qu'elle puisse endiguer le flot toujours croissant des candidats au ruban violet. On a déjà rendu, il y a quelques années, un décret qui se proposait le même but. Les dispositions en étaient sévèrement et savamment conçues pour empêcher d'être palmés les gens qui n'ont rien de commun avec l'instruction - privée ou publique. La précaution a été pourtant parfaitement inutile. Il en sera de la commission comme du décret : nous continuerons à voir fleurir en violet des boutonnières inattendues, dont les propriétaires ont souvent plus de protections que d'orthographe.

Je ne dis pas cela pour la charmante dugazon du grand-théâtre de Gérolstein, à laquelle le grand-maître de l'Université vient de faire la galanterie des palmes.

Il est clair qu'une dugazon intelligente et jolie peut exercer sur l'instruction publique une influence efficace et bienfaisante. Et puis, à qui donner les palmes académiques, sinon à celle dont l'académie remplit si bien, au gré des masses, le maillot du timide Siébel et de l'entreprenant Urbain ?

M. Deibler va, paraît-il, obtenir sa retraite. Comme le père Coupe-Toujours, le célèbre marchand de galette du Gymnase, M. de Paris se retire des affaires, avec cette différence que pendant ses trente-quatre ans de commerce il a coupé, non pas de la galette, mais des têtes humaines.

Deux-cent-huit fois, il a dressé sur les places les bois de la sinistre machine ; deux-cent- huit fois, justicier impassible, il a répandu le sang et tué au nom de la loi.

C'est là une carrière qui n'est point banale et M. Deibler a bien gagné sa retraite. Car un chef de bourreaux est un fonctionnaire qui doit avoir un peu plus d'émotions et de fatigues qu'un chef de bureau. Autre chose est de couler des jours tranquilles et oisifs, dans le calme apaisant des cartons verts - ou d'empoigner des hommes pleins de vie, pour les précipiter sous le couperet de la guillotine. Les rêves du rond de cuir sont assurément plus riants que ceux de l'exécuteur et les deux-cent-huit têtes tranchées par ce dernier forment un lugubre chapelet de souvenirs, dont l'égrènement ne lui paraît sans doute pas très folâtre toujours.

M. Deibler se retire donc pour goûter un repos légitime, en cultivant, comme Candide, son jardin et ses fleurs. Cet homme tragique adore les fleurs - sauf celles qui sont rouges. Il a comme successeur désigné son coadjuteur M. Berger. Fils de bourreau, bourreau lui-même, M. Berger - oh ! ce nom pastoral dans ce métier terrible! - raccourcira, dit-on, très élégamment, les loups-cerviers du crime.

Un journal parisien, dirigé par le plus fashionnable de tous les fils d'Israël, et qui a la prétention d'être le moniteur officiel du chic, vient de nous apprendre quel est le dernier mot de la mode pour les chiens.

Chez les millionnaires mondains qui ne savent que faire de leur argent, la toilette des toutous est, en effet, réglée avec autant de précision et de recherche que celle des maîtres. On les pare, suivant l'heure de la journée et l'emploi du temps, d'ajustements variés, sortant de chez le bon faiseur. Que dirait aujourd'hui le pauvre Privât d'Anglemont, le poète bohème de la Levrette en paletot, s'il pouvait voir les chiens « du monde » attifés correctement et luxueusement d'après les prescriptions ci-dessous : Le matin, chemise en flanelle de couleur blanche ou bleue ; de préférence pas de collier. Pour la promenade, un paletot en cheviotte anglaise, rayée ou à poils blancs ; de plus, un manteau long couvrant bien la poitrine: les laisses en vieil argent. La toilette de voiture, pour aller au Bois, est de drap ou de peluche bleue, souris ou chamois, collier de velours garni de médailles, ou col de fourrure. La tenue de salon consiste en une douillette en cachemire ou en velours, garnie de perles, avec une couronne et des armoiries brodées sur la collerette.

Ainsi se distingue le chien de qualité du vulgaire chien du peuple. Il lui faut son valet de chambre pour l'habiller et le déshabiller, pour lui mettre et lui enlever ces vêtements où s'étalent la peluche, la fourrure, le velours, les perles et les bijoux, afin que Monsieur Bob et Mademoiselle Fly fassent leur persil au Bois et assistent congruement au five o’clock...

Je suis plein d'indulgence pour les ridicules de notre temps, et j'estime qu'il vaut mieux, le plus souvent, sourire des lois que dicte la mode, plutôt que s'en indigner. Mais, franchement, tant de luxe dépensé pour les chiens, tant de manteaux et tant de jaquettes pour des animaux déjà vêtus par la nature, cela paraît odieux quand on songe à tous les hommes qui s'en vont sous la bise et dans la neige, sans souliers et presque sans habits, - et que si le terrier anglais de Madame de X... est pourvu d'une douillette en cachemire brodée à ses armes, il est des mères qui n'ont même pas de langes pour préserver leurs petits des morsures de l'hiver homicide.

C'est là une de ces provocations insolentes que la richesse jette trop souvent à la misère et dont elle devrait bien se garder, dans son intérêt même. Certes, parmi ces affolés d'élégance, qui couvrent leurs chiens de joyaux et de soieries, beaucoup ne sont que légers, et ont, à leurs heures, de généreuses pitiés pour les misères humaines. Mais combien aussi qui ne savent même pas ou qui ne veulent pas savoir qu'il y a des pauvres !

Il est d'un archi-millionnaire, qui avait sans doute une levrette en paletot de velours, ce mot sublime dit à un loqueteux importun et lamentable : Tenez, mon garçon, voilà deux sous. Fichez-moi la paix et surtout ne mendiez plus !

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